Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 avril 2014 3 30 /04 /avril /2014 06:02

Filippo Bruno naît en janvier 1548 à Nola, bourgade proche de Naples, d’une famille qui ne dispose que de revenus modestes et c’est l’école la plus proche qui lui donne une instruction. Imprégné d’humanisme, d’auteurs classiques, d’étude de la langue et de la grammaire latine, il restera toutefois marqué par le pédantisme qui accompagne l’enseignement et le rebute. Il part rejoindre l’université publique, à Naples, où il découvrira la mnémotechnique, l’art de la mémoire, qui constituera rapidement l’une de ses disciplines d’excellence. Il prend aussi des cours particuliers qui le mettent au cœur des débats philosophiques entre platoniciens et aristotéliciens.

Sa culture, alors essentiellement humaniste, va s’enrichir d’un apport théologique déterminant. En effet, il entre le 15 juin 1565 chez les Frères prêcheurs de San Domenico Maggiore prestigieux couvent dominicain d’une part, pour la qualité des titres qu’il délivre, titres incontestés et réputés dans toute l’Italie et d’autre part, parce qu’il est un précieux refuge en ces temps de disette et d’épidémie. Il y rencontre Giordano Crispo, maître en métaphysique, auquel il rend hommage en adoptant son prénom. Il est alors un dominicain modèle, vivant selon la devise verba et exempla (par le verbe et par l’exemple) et ordonné prêtre en 1573.

Il devient lecteur en théologie en juillet 1575. S’il semble continuer sa carrière de dominicain modèle (il soutient une thèse sur la pensée de Thomas d’Aquin et de Pierre Lombard), Bruno dissimule en fait une rébellion contre le carcan théologique. Au fil des années, il a su se forger une culture éclectique et peu orthodoxe, sans cesse alimentée par un appétit vorace de lecture et des capacités exceptionnelles de mémorisation. Il est tout particulièrement adepte des œuvres d’Érasme, humaniste catholique qui use d’une certaine liberté par rapport aux autorités ecclésiastiques. Pire, il a le goût de l’hermétisme, la magie. Enfin grandit une passion prémonitoire pour la cosmologie détachée de l’approche théologique.

La rupture qui couvait finit par être consommée. Dès sa première année de noviciat, il avait ôté des images saintes de sa chambre, notamment celles représentant Marie, s’attirant l’accusation de profanation du culte de Marie. Au fil des années, les heurts deviennent plus durs, tout particulièrement au sujet de la Trinité, dogme qu’il repousse. Finalement, en février 1576, il doit abandonner le froc dominicain et fuir, une instruction ayant été ouverte à son encontre qui doit le déclarer hérétique.

Il rejoint Lyon, puis Toulouse, alors sujette au dogmatisme catholique le plus intègre. Toutefois, il parvient à enseigner deux ans durant, alternant la physique et les mathématiques et à publier un ouvrage sur la mnémotechnique : Clavis Magna. Intéressé par l’ouvrage et impressionné par la mémoire colossale de Bruno, Henri III le fait venir à la cour et devient son protecteur, lui offrant, jusqu’en 1583, cinq années de paix et de sécurité. Il figure parmi les philosophes attitrés de la cour, enseigne au Collège des lecteurs royaux (le Collège de France) et développe sa pensée. Son discours s’arrondit, et face aux tensions religieuses, adopte une position tolérante. En 1582, son talent d’écrivain, ironique et lyrique, vivant, imagé, se confirme dans Candelaio (Le Chandelier), comédie satirique sur son temps.

En avril 1583, Bruno se rend en Angleterre, à Londres puis à Oxford, où il reçoit un accueil hostile. Précédées par une réputation brillante mais sulfureuse, ses idées malmènent l’église anglicane ; il essuie de nombreuses critiques. Sûr de lui et de ses idées, plein de mépris pour les idées de ses contradicteurs, Bruno consacre deux années à répliquer ; il apparaît alors comme un philosophe, théologien et scientifique novateur mais impertinent.

Dans ces ouvrages il expose sa vision cosmographique audacieuse et révolutionnaire. Il y soutient les thèses coperniciennes du monde et va au-delà encore en imaginant un univers peuplé d’une infinité de mondes.

En 1585, trois nouveaux ouvrages approfondissent et poursuivent ses audaces :

– Spaccio de la Bestia Trionfante (L’expulsion de la bête triomphante) s’attaque aux attitudes calvinistes et catholiques.

– Cabala del cavallo Pegaseo (La cabale du cheval Pégase), opuscule satirique, démolit systématiquement la vénérable référence aristotélicienne.

– De gl’ heroici furori (Les fureurs héroïques) élimine l’idée d’un monde centré, présente un univers où Dieu n’a plus de lieu.<

À l’issue d’une dernière expulsion, Bruno accepte en août 1591 l’invitation à Venise d’un patricien de la famille Mocenigo. Les deux hommes ne s’entendent pas : Bruno revient probablement motivé par l’envie d’être nommé à la chaire de mathématiques de l’université de Padoue, mais Mocenigo attend de Bruno qu’il lui enseigne la mnémotechnique et l’art d’inventer. Le patricien considère vite qu’il n’en a pas pour son argent, alors que Bruno considère que sa présence est déjà un honneur pour son hôte Déçu, Bruno veut repartir et froisse Mocenigo, qui commence par le retenir prisonnier puis, ne parvenant pas à se le soumettre, finit par le dénoncer à l’inquisition vénitienne, le 23 mai 1592.

Au fur et à mesure du procès, qui durera huit années, l’acte d’accusation va évoluer Le premier acte d’accusation se concentre sur ses positions théologiques hérétiques : sa pensée antidogmatique, le rejet de la transsubstantiation que le concile de Trente vient de confirmer et de la Trinité, son blasphème contre le Christ, sa négation de la virginité de Marie. Mais ses activités sont déjà relevées : sa pratique de l’art divinatoire, sa croyance en la métempsycose, sa vision cosmologique. Au long du procès, l’acte d’accusation ne cessera de croître. Blanchi par les tribunaux vénitiens, Bruno est presque libéré. Mais la Curie romaine semble vouloir lui faire payer son apostasie. Sur intervention personnelle du pape auprès du doge, une procédure tout à fait exceptionnelle, Rome obtient l’extradition et Bruno se retrouve dans les redoutables geôles vaticanes du Saint-Office.

En 1593, dix nouveaux chefs d’accusation sont ajoutés. Bruno subit sept années de procès, ponctuées par une vingtaine d’interrogatoires menés par le cardinal Robert Bellarmin, qui instruira aussi le procès du système de Copernic en 1616. Il lui arrive de concéder un geste de rétractation, mais se reprend toujours : « Je ne recule point devant le trépas et mon cœur ne se soumettra à nul mortel ». Le pape Clément VIII somme une dernière fois Bruno de se soumettre, mais Bruno répond : « Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n’y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j’aurais à rétracter ».

Le 20 janvier 1600, Clément VIII ordonne au tribunal de l’Inquisition de prononcer son jugement qui le déclare hérétique et qui, devant son extrême et résolue défense, le condamne à être brûlé.

À la lecture de sa condamnation au bûcher, Bruno commente : « Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à l’accepter ». Le 17 février 1600, il est mis nu, la langue entravée par un mors de bois l’empêchant de parler, sur le Campo Dei Fiori et supplicié sur le bûcher.

Partager cet article
Repost0

commentaires