Ceux qui ont gardé leur âme d’enfant auront reconnu sans aucun mal la formule magique qui berça leur enfance : « abracadabra » prononcée par une fée agitant sa baguette pour réaliser un souhait devant les yeux médusés de l’assistance.
Cette formule populaire ne doit pourtant rien à l’imagination des anciens, contant des histoires aux petits enfants, à la veillée devant le feu de cheminée. Les fées parlent l’hébreu et savent que abracadabra signifie : « il a créé comme il a parlé ». Elles ont compris depuis fort longtemps que la puissance de la parole permet à une merveilleuse idée de devenir réalité, de créer, de prendre forme. Elles connaissent la puissance et l’énergie des lettres de l’alphabet hébraïque et l’utilisent.
Les cabalistes établissent un parallèle, entre la création de l’univers et la parole. En déshabillant la parole, on retrouve le son. Puis sous le son, l’essence intime : la vibration.
Si personne n’est là pour écouter ou entendre, le son n’existe pas. Il ne reste que la vibration non manifestée.
Saint Jean, relie lui aussi dans son évangile, la création du cosmos et la parole : « Au commencement était le Verbe… Et le Verbe était auprès de Dieu… Et le Verbe était Dieu. »
Dieu en habillant des vibrations créé la matière. Par cet acte il se manifeste.
De la même façon que le son existe parce qu’un récepteur le reçoit, Dieu existe parce que sa création est à son image et le reçoit.
Voyons voir comment le rencontrer, c’est possible, si si…
Les fées ont le pouvoir d’imiter Dieu car elles ont lu le premier chapitre de la genèse relatif à la création de notre univers et voici ce qu’elles y ont trouvé.
L’expression : « Dieu dit » apparaît 10 fois. Dieu dit : « Que la lumière soit, et la lumière fut », première création par la parole.
Toute la création divine n’est pas constituée que par des paroles mais aussi par des actes.
L’expression : « Dieu fit » apparaît trois fois, l’expression « Dieu vit » apparaît sept fois et divers actes de Dieu apparaissent douze fois, toujours dans le même chapitre sur la genèse. Soit un total de 22 actions.
On compte 32 fois le mot « elohim » dont la signification peut-être : dieux au pluriel ou forces ou énergies ou vibrations selon votre sensibilité.
Un livret de quelques pages commente ce chapitre qui va me soutenir tout au long de cette planche. Il explique la création de notre univers à l’aide des 10 paroles par l’arbre des 10 sefirot. Chaque séfira correspond à une étape de la création en commençant par la lumière et en terminant par l’homme.
Il commente également l’expression « Dieu fit » qui apparaît trois fois et correspond aux trois lettres mères de l’alphabet hébraïque. Celle de « Dieu vit » apparaît 7 fois et correspond aux 7 lettres doubles du même alphabet. Une lettre double est une lettre qui a deux prononciations. Par exemple le B qui se prononce B ou V. « Les douze actes divers de Dieu » correspondent aux 12 lettres simples.
Si on additionne 3+7+12, on obtient les 22 lettres de l’alphabet.
Les 10 sefirot ajoutée aux 22 lettres de l’alphabet forment ce que le livre appelle les 32 voies de la sagesse déjà souligné par l’apparition de 32 fois le mot « elohim ».
Le petit livre qui décortique mot après mot ce premier chapitre de la genèse a été rédigé entre le troisième et le sixième siècle, apparemment en Palestine par un juif dévot, mystique, dont l’objectif était spéculatif et magique. Il est nommé par les cabalistes : « sefer yetsira » ou livre de la création. Toute son analyse se fonde sur le pouvoir créateur surnaturel des lettres et des mots.
Ce livre influença un grand nombre de rabbins dans de nombreux courants de la mystique juive. Depuis et jusqu’à aujourd’hui beaucoup de commentaires vinrent étayer son analyse.
Au Moyen Âge, le sefer yetsira fut interprété dans certains milieux en France et en Europe de l’est comme un guide de pratique magique.
Il s’y développa l’idée de la création d’un golem par un groupe de personnes ou bien par un homme seul, les buts étant différents selon le cas.
Le mot golem ne figure qu’une seule fois dans la bible. Dans le psaume 159-16, ce mot désigne la masse informe (que Luther traduit par le mot : non élaboré).
Dans le Talmud, le terme est appliqué à un état préliminaire, embryonnaire d’Adam. « Quelque chose d’inachevé et d’imparfait ». Le terme vient de « guélem », la matière brute.
Depuis le XIIème siècle, le mot de golem s’applique dans la tradition européenne à un personnage mythique, quasi humain, créé sans enfantement à partir de la terre et doué de vie par une formule rituelle et magique, créé par les hommes et non, comme Adam, par Dieu.
Des légendes naquirent, se développèrent en utilisant le même sujet mais dans des registres différents.
De l’avis des groupes de mystiques, la création d’un golem n’a pas de signification pratique mais seulement symbolique. Ils prenaient de la terre et fabriquaient un golem. Ils déambulaient ensuite autour du golem comme pour une danse, en combinant les lettres de l’alphabet et le Nom secret de Dieu. À l’issue de ces incantations, le golem se levait et se mettait à vivre. Lorsqu’ils marchaient dans le sens contraire et prononçaient les mêmes combinaisons de lettres à l’envers cette fois, la vitalité du golem était annulée, il s’écroulait et tombait. Ce rituel était utilisé semble t-il pour symboliser leur degré de perfection à la fin de leurs études.
Selon d’autres légendes, le mot « emet », vérité, en hébreu était écrit sur son front et lorsque la lettre aleph était effacée, première lettre du mot emet, il restait le mot, met ou mat qui signifie mort.
La dernière légende et la plus récente est la mieux connue. Le héros est le légendaire Maharal de Prague qui se vit confier par une voix divine la mission de façonner avec de la terre glaise, un personnage et de le doter de vie grâce à une formule magique écrite sur un parchemin qu’il lui glisserait sous la langue et qui l’aiderait à ramener la sérénité au sein du peuple victime d’un antisémitisme exacerbé. Ce golem devint l’aide de camp du Maharal, inspirant crainte et respect à la population et ramenant le calme au sein de la communauté jusqu’au jour où il fut pris de folie. Il échappa au contrôle de son maître et commença à semer l’effroi dans la ville avant que le Maharal le ramène à l’état de glaise en lui ôtant le parchemin.
Mon but est simplement de provoquer des réflexions à partir d’un mythe et de symboles qui ont pu traverser les siècles en interpellant notre inconscient car les symboles sont universels. Ils illustrent des vérités que nous devinons de façon irrationnelle et c’est pourquoi ils nous permettent d’avancer sur le chemin de la connaissance.
Ma toute première réflexion concerne le culte des idoles qu’Abraham en son temps rejeta pour honorer une idée, un concept différent : un Dieu unique, invisible et immatériel qui remplacerait les idoles d’argile auxquelles on donnait un nom et à qui on adressait ses prières. Le nom que portait l’idole lui donnait une position sociale dans la hiérarchie des dieux. Les gens portaient des offrandes à des statues pour se protéger. Ils pensaient vaguement que ces statues avaient une sorte de vie et des pouvoirs quand on leur parlait. Dans ce sens Abraham est le père du monothéisme et de la pensée abstraite.
Dans un autre registre, j’ai reçu un jour une confidence de ma sœur Christiane qui m’a avoué parler à ses plantes pour qu’elles soient plus belles. Il paraît que ça marche. Je vous l’ai dit la parole est magique !
Ma réflexion suivante s’est plutôt tournée vers le désir insatiable de l’homme de comprendre ce qui l’entoure. En décodant l’univers peu à peu au fil des siècles, il est parvenu à chaque étape à de nouvelles découvertes qui éclairaient le monde sous un jour nouveau mais qui le mettait en péril également. Deux exemples seront plus explicites qu’un long discours. L’électronucléaire qui permet la fabrication d’outils médicaux sophistiqués et la bombe atomique qui anéantit le vivant, des transfusions sanguines qui sauvent des vies et le sida qui sème la mort.
L’idée de golem rejoint ici le thème nouveau de la puissance illimitée des éléments qui peut engendrer destruction et ravages. L’homme progresse mais chaque progrès à un revers de médaille qu’il devra surmonter pour continuer sa route.
La création du golem c’est un peu jouer avec le feu. Imiter Dieu comporte des risques.
La légende du golem est ici une leçon d’humilité. Nul ne peut se substituer à la création qu’on appelle loi de la nature ou Dieu. Le sage doit savoir rester à sa place d’être humain, apprendre à se méfier de ses possibilités et de ses facultés à commettre des erreurs.
Je me sens plus à l’aise dans le stade suivant pour essayer de comprendre ce que pourrait apporter l’histoire du golem à notre parcours maçonnique.
Ce golem pourrait bien être notre deuxième nous-mêmes. La partie matérielle soumise à ses sens et dirigée par un esprit grossier qui verrouille toute tentative de communication. La partie subtile est là, prisonnière du corps qui à tout pouvoir sur elle. Par la parole sous forme de prières, d’incantations, ou de méditations, les deux parties vont s’affiner, s’épurer, s’unifier. L’être devient un véritable vivant prêt à parcourir le chemin initiatique vers la sagesse.
Le passage de l’état de golem à la situation de sage est celui de la matière à l’esprit.
Sur un autre registre, le profane obéit à la main qui le dirige dans le temple en trois rondes. En toute humilité il se laisse guider par le grand expert. Il accepte de devenir une pierre brute non élaborée. La parole ne lui est pas donnée En écoutant et en comprenant par lui-même il trouvera son chemin et quittera la peau du golem pour voler de ses propres ailes et prendre la parole signe du changement de rôle. Il deviendra peu à peu son propre maître, imparfait encore mais capable de se perfectionner par lui-même en menant des expériences qui le feront chuter parfois mais il sera capable de se relever et de poursuivre son chemin.
La légende du golem met en évidence l’importance du respect du rituel. L’erreur du Maharal, le fabricant du golem, est d’avoir oublié d’ôter le papier des lèvres de la créature le vendredi soir comme il en avait l’habitude, ce qui a engendré le comportement catastrophique de celui-ci.
Les paroles du rituel ont le pouvoir de créer un fragile édifice en dehors du temps et du lieu, auquel nous donnons le nom d’espace sacré. Le moindre couac suffit à faire éclater la bulle et nous retrouvons le désordre, le bruit et l’agitation qui règnent sur la terre. Ce rituel traverse notre mental pour s’adresser à notre âme. Il a la capacité de les relier toutes entre-elles et de créer cette ambiance si particulière que nous appelons fraternité initiatique, amour inconditionnel ou égrégore.La parole est magique. (Musique).
Avant de terminer, je quitte le golem pour lequel vous aurez sans doute des interventions qui enrichiront mon propos pour revenir sur l’arbre des sefirot.
L’arbre des sefirot est une structure symbolique de la création par un Dieu vivant qui se manifeste lui-même dans les actes de la création. Les dix sefirot constituent les différentes manifestations divines.
Chaque sefira revêt une forme particulière de cette manifestation. Chacune d’elle peut représenter une branche dont le tronc a ses racines qui plongent dans l’infini de ein-sof. Un arbre à l’envers en quelque sorte. Imaginez des branches de plus en plus épaisses au fur et à mesure de leur descente vers le bas mais, la sève qui coule à l’intérieur est toujours la même. Elle est simplement plus difficile à trouver.
L’homme est lui aussi un petit arbre. Il est aussi le lieu des 10 sefirot par lesquelles la lumière et l’énergie vont devoir passer. Tout le succès de l’entreprise réside dans la rencontre du grand arbre avec le petit arbre. Connecter chacune de ses 10 sefirot intérieures avec les 10 sefirot cosmiques, permettront d’apporter l’harmonie et un équilibre parfait. Utiliser le langage symbolique est la seule façon de parler de cette réalité intérieure qui ne peut être ni définie, ni décrite car elle est située au de-là de notre perception. Certains préfèrent se servir d’un autre vocabulaire comme les niveaux de conscience et de leur éveil progressif.
Ces mots sont plus d’actualité et vous parleront sans doute davantage. La question reste pourtant la même :
Comment faire pour se connecter ?
Plusieurs voies ésotériques sont possibles. En ce qui concerne celle de la cabale, voie initiatique que j’ai choisi, l’homme doit trouver la porte ou l’entrée par laquelle il peut entreprendre son ascension sur l’échelle de la perception du mystère divin. Pour cela il a besoin de trois clés qui sont :
- L’étude du symbolisme des lettres hébraïques.
- L’expérience de la méditation seul ou en groupe.
- L’exécution des techniques de contrôle de la respiration, de la prononciation des paroles rituelliques.
En résumé, le yoga des cabalistes.
Pour détacher l’esprit du corps, le cabaliste pratique la prononciation des lettres qui dans leur combinaison sont dénuées de sens afin de purifier l’âme de toutes les formes qui lui sont familières. Cette pratique a pour effet de calmer l’esprit et de pacifier l’agitation intérieure, de réaliser l’union de la conscience intellectuelle, intuitive, sensible, et méditative, ce sont les briques qui composent l’esprit.
Dans la cabale, la combinaison des lettres, (le tsérouf en hébreu) est à la fois une mystique et une technique s’appuyant sur ce fameux petit livre dont je vous tourne les pages qu’est le sefer yetsira. Il s’agit dans un texte de remplacer chaque lettre par une autre en suivant une grille. Le A prenant la place du T par exemple. Le texte ou la prière devient cryptée, incompréhensible à celui qui ne possède pas le code. Dans la bible certains versets sont cryptés. Cette pratique, diffère selon le but que l’on se choisit.
Certains y voient principalement une méthode de décodage ou de décryptage des textes sacrés et pratiquent le tsérouf comme un simple exercice intellectuel. D’autres le considère comme une voie libérant l’âme de ses liens vulgaires et terrestres. Dans ce cas la pratique des permutations de lettres brouille l’esprit rationnel permettant à la pensée intime de rejoindre le rythme de la vie cosmique que l’on expérimente à travers le corps, la parole et la pensée.
Une autre technique du tsérouf repose sur la combinaison des lettres par deux. Elles sont basées sur le binaire. Le A avec le B puis toutes les suivantes ensuite c’est le tour du B et ainsi de suite…
Toutes ces répétitions orales qui utilisent les lettres correspondent aux mantras. On les appelle les mantras des cabalistes. Le tsérouf est la clé fondamentale de la parole et sa pratique est à rapprocher du Mantra-Yoga hindou ou de divers exercices soufis, mais avec ses particularités cabalistiques qui sont plus compréhensibles par notre éducation occidentale, enfin c’est ce que je crois.
Pour Abraham Aboulafia, cabaliste espagnol du moyen âge, ces litanies permettent d’empêcher la dispersion mentale. Tout le monde a remarqué que dès que l’on s’installe pour méditer en se concentrant sur un point, une idée, ou rien du tout, un flot de pensées nous inonde et nous détourne de notre objectif. Plus on les chasse et plus elles reviennent en force. Aboulafia a compris qu’au lieu de se battre avec cette mécanique mentale, il valait mieux la nourrir pour la neutraliser. Pendant que l’intelligence s’occupe de la mécanique complexe des combinaisons de lettres, un petit quelque chose venue du fond de notre conscience s’isole et se place au-dessus de l’agitation de l’esprit. Ce quelque chose commence à percevoir le monde au-delà du temps et de l’espace. Si ce moment arrive le méditant est à la fois conscient de son existence dans le monde matériel tout en vibrant parallèlement dans le monde spirituel. Il comprend alors qu’il est de deux natures.
Cette étude peut ouvrir des zones endormies de la conscience et favoriser l’éveil des 32 sentiers de la Sagesse. Cette pratique conduit à l’éveil en gommant peu à peu les zones d’ombre !
Vous l’aurez sans doute compris, la cabale a pour tâche d’aider l’âme à retrouver son chemin jusqu’à sa maison natale au sein de la divinité.
Par-dessus tout, c’est la prière qui constitue la voie royale conduisant à cette élévation vers les mondes supérieurs.
Le cabaliste en se concentrant sur la séfira appropriée, récite le texte de prière qui fait office d’une sorte de rampe à laquelle il se tient pendant son ascension, cherchant à tâtons son chemin par des mots.
La prière est comparable à une flèche tirée vers le ciel.
L’orant ayant accompli son ascension, il redescend alors au moyen de méditations définies et unifie ainsi les mondes supérieurs et inférieurs.
En travaillant sur la parole il est possible d’atteindre le chant de l’âme qui retrouve le Verbe à l’état pur et sait le faire vibrer. Tout est basé sur la vibration comme une partition musicale. Une seule fausse note et le charme de la mélodie est rompu.
Voilà, il est temps de refermer le livre ensorcelant du sefer yetsira. Abracadabra, le sort en est jeté…Ce manuel vient de se trouver un petit coin tranquille et douillet pour continuer de vivre dans les replis de l’intimité de chacun, ici présent ce soir. Vous ne pourrez plus l’oublier, il est magique. De temps en temps il se rappellera à votre bon souvenir sous une forme ou une autre quand vous aurez envie de soulever un pan du voile de la connaissance !
J’espère ne pas avoir utilisé sans le vouloir le même sortilège que dans le conte de la belle au bois dormant et j’ose souhaiter : « Bienvenue dans le monde de la cabale où vous venez d’effectuer vos premiers pas ».
J ai dit
Pour écrire cette planche, j’ai pioché dans : « Les grands courants de la mystique juive » de Gershom Scholem, la Kabbale, du même auteur, « le Tsérouf » de Vyria, « les mystères de la cabale » de Marc Alain Ouaknin.