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19 décembre 2023 2 19 /12 /décembre /2023 06:44

« - Quel âge avez-vous ?

                                                                    -  Dix semaines d’années »

 

 

La liberté de conscience, fondement  de la  démarche maçonnique  est un atout privilégié pour  nous conduire parfois à prendre en considération  l’ensemble des Traditions et pas seulement les Traditions juives ou chrétiennes, et  à s’en inspirer pour tenter de lever le voile sur certains passages du rituel.

C’est la raison pour laquelle le terme d’ « approche » a été choisi laissant ainsi à chacun la liberté ou non d’ouvrir d’autres « portes » en fonction de sa culture ou sa sensibilité.  

 Mais revenons à l’âge du Chevalier d’Orient et d’Occident : « Dix semaines d’années ».

Dans ma première approche, je crois avoir fait comme la plupart d’entre vous, des recherches dans les textes sacrés, notamment en reprenant la Bible de Jérusalem et la lecture du livre du prophète Daniel. Livre qui dans sa 2ème partie relate les  visions et les prophéties  de Daniel d’où serait extrait  l’âge de notre  Chevalier d’Orient et d’Occident.

Dans ce livre (des paragraphes 9.1 au 9.27), on ne retrouve pas in extenso «  Dix semaines d’années ». Le texte maçonnique s’est inspiré de la symbolique du livre de Daniel pour  susciter me semble-t-il  une réflexion voire  une prise de conscience chez l’impétrant.

Mais nous y reviendrons……….

Dans la Bible de Jérusalem,  au paragraphe 9.2 on peut lire «  En l’an un de son règne  ( il s’agit du règne de Darius de 522-486 av J.C), moi Daniel, je scrutais les Ecritures, computant* le nombre des années – tel qu’il fut révélé par Yahvé au prophète Jérémie- qui doivent s’accomplir pour les ruines de Jérusalem, à savoir 70 ans » ;  Puis  Daniel nous  indique que l’ange Gabriel est venu lui dire  (paragraphe 9.24)  que  70 semaines seraient assignées à son peuple et sa ville sainte pour mettre un terme à la transgression, pour apposer les scellés aux péchés, pour expier l’iniquité, pour introduire  l’éternelle justice, pour sceller vision et prophétie, pour oindre le Saint des Saints »

Il semblerait qu’à travers les âges, les 70 semaines évoquées par Daniel aient fait l’objet de très nombreuses interprétations, souvent divergentes, mais il ressort de l’une de ces interprétations que l’expression « semaines » désignerait littéralement  une collection de sept « choses » ;

Ceux et celles qui ont voulu donner une réalité  à cette prophétie en  ont conclu que  « les semaines » dont il était question ici  n’étaient  pas des semaines de 7 jours comme on pouvait l’envisager déjà  à l’époque  puisque la semaine serait  une institution hébraïque consistant en une série répétitive de 7 jours (du dimanche au samedi), mais  « des semaines d’années » c’est-à-dire « des périodes de sept ans » !!!! 

Ainsi  la prophétie de Daniel aurait permis à  cette interprétation de corroborer, par de « savants » calculs, des évènements d’une grande importance  pour les chrétiens à savoir la crucifixion du Messie (la soixante-neuvième semaine) et les circonstances précédant son retour en gloire (la soixante-dixième semaine).

 Cette  analyse du texte biblique que l’on a voulu rationnaliser par des extrapolations à marche forcée sur l’échelle du temps (linéaire) ne nous  éclaire pas vraiment sur le sens initiatique  de l’âge du Chevalier d’Orient et d’Occident.

On retiendra  cependant de cette explication  que les  « semaines d’années » correspondraient  à «  sept ans »  et que les ruines de Jérusalem  auraient duré 70 ans.

 Il semblerait  bien que les rédacteurs de notre rituel se soient inspirés  de  cette interprétation là,  pour fixer l’âge du Chevalier d’Orient et d’Occident.

 «  Dix semaines d’années »  correspondraient  ainsi à 10 fois 7 ans (ou choses) soit 70 ans…... C’est-à-dire la durée de la captivité de deux des douze tribus d’Israël  à Babylone,  au terme de laquelle la liberté retrouvée, le temple  de Jérusalem serait  réédifié.

La symbolique du nombre 70 confirme  cette approche ;  70 est le nombre qui correspond à la totalité d’une évolution, un cycle évolutif complètement achevé (fin de la captivité) et le début d’un autre cycle (reconstruction du Temple de Jérusalem).

A  chaque étape de son cheminement, l’initié se voit attribuer   un âge dont la symbolique sera un support dans son évolution au sein du grade qui lui est conféré.   3 ans, 5 ans, 7ans et +, neuf semaines sur sept ans, 9 ans, et enfin 10 semaines d’années.  

L’âge du Chevalier d’Orient et d’Occident est un des  plus énigmatiques certes, mais en quoi est-il si différent ?

Après de nombreux tâtonnements une autre piste s’est dessinée

 La lettre hébraïque qui  correspond à 70 est Ghaïn (ayin),  symbole de chute et d’écroulement !

Voilà qui est  curieux…. Qu’est-ce qui s’écroule ? Il  y avait  eu  pourtant une fin plutôt heureuse, celle de la fin de la captivité, la victoire  après une lutte acharnée au passage du pont  et l’espérance de jours meilleurs alors pourquoi y voir une chute, un écroulement ?

Un peu machinalement j’ai répété mentalement à plusieurs reprises l’âge du Chevalier comme pour essayer d’en faire jaillir quelque chose et cela m’a fait penser à ces phrases ou brèves anecdotes échangées entre un Maître et son disciple dans la tradition  du bouddhisme Zen ou utilisées dans certaines écoles du bouddhisme Chan que l’on appelle KOAN* ( prononcer Gong’an). Le Koan ne peut-être résolu de manière intellectuelle, le raisonnement logique est banni ou très marginal car il conduit à des lieux communs ou des impasses.

« 10 semaines d’années » pourrait nous  faire penser à un Koan.

Il s’agit dans cette pratique de délaisser son appréhension habituelle des phénomènes pour se laisser pénétrer  par une autre forme de connaissance intuitive. Le Koan est une sorte d’énigme irrationnelle que l’on va laisser mûrir dans son esprit et où le mental est désarçonné !

Le caractère conventionnel du langage doit être dépassé au profit d’une parole vive qui ouvre sur une autre dimension ;

 Ce n’est pas une devinette, la phrase peut-être commentée, mais le commentaire ne fait pas comprendre la phrase, il en ouvre seulement la voie.

Ce qu’il faut, c’est libérer notre intuition de l’emprise du mental raisonneur. La perception intuitive témoigne d’une faculté éminemment subtile, qui ne peut se manifester que dans le silence des ratiocinations.

Le mental,  notre faculté d’appréhender les choses de manière rationnelle est surtout en occident un frein à une  autre forme d’intelligence plus globale, plus directe, qui ne transite pas par la pensée mais par l’expérience directe, par le ressenti.

Un dépouillement, une humilité et une vacuité intérieure sont requis. L’arrogante confiance en nos constructions mentales bloque notre intelligence intuitive.

Les thèmes les plus fréquents de ces « Koans » s’appuient sur la dualité de l’être.  Le bouddhisme « zen »  propose par ses « koans » de ne plus séparer l’intérieur et l’extérieur, le corps et l’esprit, soi et autrui. Le « Koan » est très utile à la réflexion intérieure, il permet d’arriver au plus profond de soi. Mais surtout il apprend à penser en dehors des schémas conceptuels. Il abolit la frontière entre le paraître et l’être.

Ne sommes-nous pas mes SS et mes FF Chevaliers, au cœur même de « l’enseignement » principal de ce 3ème Ordre.

Sur ce pont où la bataille a fait rage n’a-t-on pas laissé nos distinctions, les signes de notre appartenance à un monde qui se nourrit des apparences et auquel nous sommes très attachés ?

 Il est dit en Inde : «  Si rien n’est perdu, rien n’est obtenu » (Initiation de l’Advaïta Vedanta)

On   perçoit  dans  cette phrase «  10 semaines d’années », le moyen, à la manière d’un Koan, d’arriver à une réflexion intérieure pour s’extraire de la dualité de l’être et du paraître. En d’autres termes pour « se libérer » non pas en éliminant le paraître au profit de l’être, mais en abolissant la frontière qui les sépare, source d’ignorance et de souffrance.

Cette libération (il ne s’agit plus de liberté)  n’est pas quelque chose qui arrive par étape, progressivement ; c’est quelque chose de soudain. C’est quelque chose qui ne s’explique pas, à laquelle on ne s’attend pas  mais  que l’on connaît c’est-à-dire dont on fait l’expérience.

Par l’intuition, on appréhende une Réalité qui transcende la raison humaine. Cette intuition a toute la force, et toute l’évidence d’une perception.  Il ne s’agit pas de l’intuition ordinaire dont on entend  parler quelques fois et qui est plus du domaine de l’instinct,  mais d’une intuition plus éclairée, bien plus  sensible.

 Autrement dit, lorsque la perception intuitive possède la force nécessaire, il en résulte une connaissance nouvelle, une prise de conscience spontanée qui éclaire la raison.

L’intuition est l’échelon le plus élevé de la conscience.

La captivité à Babylone pendant 70 ans, comme l’âge du Chevalier d’Orient et d’Occident sont bien évidemment symboliques. Dans les deux cas, Il ne s’agit pas d’une durée, mais d’un état. Une façon d’être et de penser conditionnée dont nous étions captifs. La délivrance  sonne l’achèvement d’un cycle (70) et l’écroulement (Ayin) de nos certitudes intérieures, de nos habitudes, de nos attachements,  de nos croyances quelles qu’elles soient, de notre forme habituelle de penser, de  notre besoin de nous identifier au personnage que nous croyons être.

Cette délivrance consiste intuitivement à se  positionner en qualité de témoin, d’observateur de nos pensées, de nos paroles et des nos actes. Ce recul est un bouleversement.

 Nous savons qu’au terme de ce 3ème Ordre, nous  ne nous  projetterons  plus, nous ne construirons plus de temple à l’extérieur de nous-mêmes mais à l’intérieur, dans nos cœurs.  Ce 3ème Ordre est exigent, il est notre ultime chance de comprendre que nous ne pourrons véritablement nous connaître sans modifier notre mode de perception ;

Car vous l’aurez compris,  ce n’est pas tant l’âge du chevalier que la manière de nous y faire réfléchir qui est important. C’est un changement de perspective radical. Notre vision du monde aura changé et  le dépouillement  qui en résultera sera  indispensable à la  poursuite de notre cheminement initiatique et  à la compréhension des vertus théologales du 4ème Ordre. Vertus qui viendront nous enrichir au sens spirituel du terme et nous permettre en toute humilité de nous ouvrir aux autres.

 Car :

 La foi n’est pas issue du raisonnement,  elle n’est pas non plus  une croyance au sens religieux et donc exotérique, elle est une certitude intérieure fruit de la  connaissance intuitive.

L’espérance  est le résultat de la pensée positive, pensée qui ne peut  prendre  sa source dans un  mental farouchement discriminant et réprobateur, mais qui émane de l’intelligence fondée sur la foi.

 Quant à la  charité, ne   provient-elle pas de l’ouverture du cœur. Par la charité l’égo se casse et le cœur libéré de sa carapace s’ouvre à  soi-même et aux autres.

Ce 3ème Ordre est une étape cruciale dans notre combat,  celui là même  qui  a eu lieu  sur ce pont pour que l’on devienne réellement des maçons libres ;

  Venir à la Connaissance c’est vaincre nos passions,  ……… Une spiritualité qui n’est pas basée sur l’expérience intérieure, qui n’a pas pour but d’acheminer vers cette expérience, de l’alimenter et de l’élargir  se résumerait à quoi  en définitive ?

Dans cette même perspective, nous pourrions  nous demander  à quoi servent les ponts si personne ne veut les traverser ?

 Je voudrais terminer mon approche en citant René GUENON qui en parlant du symbolisme dira qu’il est le langage universel qui mène à l’affranchissement progressif de la modalité discursive et mentale, celle-ci étant in fine un obstacle à l’assimilation de la connaissance.

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